Emil Zatopek

Emil Zátopek, le dur au mal

Marathon
28/03/2025 23:49

Le coureur tchèque Emil Zátopek est encore considéré aujourd’hui comme un des plus grands sportifs du XXème siècle. L’histoire du coureur né à Kopřivnice dans l’ex-Tchécoslovaquie est aussi complexe que celle de son pays. Retour sur la vie de la “locomotive tchèque”, comme il était surnommé. Un surnom qui lui allait comme un gant. 


Ce 27 juillet 1952, le stade olympique d’Helsinki accueille un héros. Pour la troisième fois en quelques jours, Emil Zátopek a laissé tous ses adversaires derrière lui. Cette fois c’est pour la plus grande des épreuves que le tchèque lève les bras au ciel. Il semble presque facile. Troisième médaille d’or dans ces jeux olympiques pour Zátopek qui signe un des plus grands exploits de l’histoire du sport moderne. En effet, quelques jours auparavant, il a marché sur ses adversaires dans les épreuves du 5000 mètres et du 10000 mètres, ses spécialités. Car oui : Emil Zátopek n’avait jamais couru de marathon en course officielle avant ces JO d’Helsinki! A peine croyable. Et ce jour-là il signe le record olympique qui plus est… Un géant. Trois médailles d’or, trois records olympiques pulvérisés. Jamais un athlète ne dominera les Jeux en donnant cette impression d’être indestructible, malgré ses attitudes de course souvent moquées. Son style besogneux n’est pas le plus élégant sur la piste. Rien ne prédestinait ce fils de charpentier morave à entrer dans la légende. Retour sur la vie et les souvenirs laissés par ce sportif au grand cœur, incroyable de volonté et de résistance.

| Une enfance simple…

… Simple mais rude. C’est sans doute aussi dans ce contexte que Zátopek a développé toute sa volonté de fer. Le 19 septembre 1922, à Kopřivnice, en Moravie, František Zátopek accueille son sixième enfant, Emil. Personne ne peut se douter que ce petit enfant chétif deviendra l’homme le plus endurant de la planète. La famille Zátopek vit près de l’usine Tatra où son père travaille dur. La légende veut qu’Emil courait déjà 4 km chaque jour à 5 ans pour rapporter le lait de la ferme voisine. En 1931, la crise économique frappe le pays et la famille d’Emil. Le jeune Emil, 9 ans, doit travailler avant l’école. A 16 ans, il intègre l’usine de chaussures Bata. Son quotidien : 12 heures de travail et une habitude étrange qui intrigue ses collègues : courir pieds nus dans la cour pendant la pause. La seconde guerre mondiale débute, la Tchécoslovaquie est annexée par l’Allemagne nazie. Emil Zátopek a de la chance dans les malheurs du monde. Il échappe de peu aux travaux forcés en 1944. L’armée tchécoslovaque en exil a besoin de sportifs pour sa propagande. Emil, 22 ans, rejoint le bataillon d’éducation physique à Prague. Sa vie bascule quand un gradé lui offre une vraie paire de chaussures de sport. « Pour la première fois, j’ai senti que mes pieds pouvaient voler”. 1945. La guerre finie, Prague libérée, Zátopek est muté à Stará Boleslav. C’est là, dans les bois entourant la caserne, qu’il perfectionnera ses méthodes. C’est aussi là-bas qu’il croisera une lanceuse de javelot nommée Dana, qui deviendra sa femme, son entraîneuse, et la gardienne de sa légende.


| Une machine à records

Les chiffres donnent le vertige : 18 records du monde, 38 victoires consécutives sur 10 000 m, sa spécialité. Mais derrière les statistiques se cache une vérité plus crue. Une capacité à souffrir qui dépasse l’entendement. Ainsi, il est arrivé aux JO d’Helsinki de 1952 avec une maladie pulmonaire. Et lui d’écrire dans ses carnets de notes : « Douleur côté droit. Crachats sanglants. Docteur dit pneumonie. Solution : courir plus vite pour finir plus tôt… » La locomotive tchèque était bien moulée dans l’acier. Le 27 juillet 1952, lors de son marathon légendaire, la température atteint 32°C. Le Britannique Jim Peters, favori, s’effondre à 5 km de l’arrivée. Zátopek, lui, accélère. « J’ai vu des coureurs s’arrêter pour vomir. Alors j’ai pensé : si eux s’arrêtent, moi je dois courir plus vite« . Il termine en 2h23’03, nouveau record olympique.

La liste officielle de ses records donne le tournis :

30 000 m : 1h35’23″8 (1952), record mondial pendant 7 ans
10 000 m : 28’54″2 (1954), record battu seulement 6 ans plus tard
20 000 m : 59’51″8 (1951), premier homme sous la barre mythique d’une heure
Heure : 20 052 m (1951), performance qui tiendra 13 ans


| Un précurseur sur les méthodes d’entraînement

De tels résultats naissent bien quelque part. De son histoire de dur au mal c’est sûr, mais aussi de sa méthodologie et de sa inventivité. Ses méthodes ? Des séances de 100 x 400 m dans la neige, courir en apnée (!) pendant 200 mètres pour augmenter sa capacité pulmonaire, des courses lestées de poids, des nuits entières à sauter à la corde dans sa chambre. Au-delà des méthodes, on a surtout à faire avec un bourreau de travail, préfigurant peut-être tous les athlètes modernes capables d’encaisser des gros volumes de travail. Un vrai stakhanoviste. Sa veuve Dana a révélé quelques notes des carnets d’entrainement d’Emil, qui était très méthodique pour son époque. Voici un exemple saisissant :

« Lundi : 100 x 400 m (75 ») avec 100 m marche
Mardi : 20 km en forêt avec sac de sable (5 kg)
Mercredi : course en apnée (200 m x 10)
Jeudi : répétition de côtes en bottes militaires »


| Mimoun-Zátopek : le duel fraternel

L’histoire aurait pu en faire des ennemis. Le Français Alain Mimoun face au Tchécoslovaque Zátopek le bourreau de travail. Beaucoup de choses les opposent. Sauf l’essentiel. L’amour de la course et le profond respect de l’homme derrière le sportif. Leur première rencontre a lieu aux JO de Londres en 1948. Mimoun, lieutenant de l’armée française, dira de lui : Zátopek ? On dirait un type qui fuirait l’enfer. Moi, j’aime courir. Lui, il court comme pour sauver sa peau”. Battu en 1952 (vidéo du 5000 mètres ci-dessus), Mimoun tiendra sa revanche en 1956 aux JO de Melbourne. Cette fois, c’est Zátopek, affaibli par une hernie, qui conseille Mimoun : « Attaque au 30e km, le vent tournera« . Le Français suit le plan à la lettre et remporte l’or. A l’arrivée, Zátopek, sixième, est le premier à l’embrasser. « Cette médaille, c’est la tienne aussi » lui dira Mimoun. Leur correspondance, conservée au Musée olympique de Lausanne après avoir été révélée par le comité olympique tchèque ont révélé en 2018, s’étire sur près de 40 ans (1948-1982) et témoigne d’une amitié profonde. Au-delà des nations et des drapeaux. Au-delà de la différence qui pouvait exister entre un français né en Algérie et un Tchéchoslovaque. L’amitié de deux hommes sous le même ciel, celui des hommes en prise avec leur histoire nationale. Ces correspondances poignantes peuvent témoigner d’un temps : « Cher Alain, ici tout est gris. Je cours toujours, mais dans ma cave maintenant. » (une semaine après l’invasion soviétique, en août 1968). On retiendra pour finir celle-ci, datant de mars 1975, splendide de simplicité et d’humanisme : « Tu as raison, la politique passe, l’amitié reste. Ton frère Emil« .


| Un héros brisé par l’histoire

1968. Printemps de Prague. Zátopek, alors colonel, distribue des tracts contre l’occupation soviétique. La répression est féroce. Rétrogradé au rang de simple ouvrier, il passe ses journées à forer des puits en Slovaquie. « On m’a donné une pioche et un seau. Je creusais jusqu’à ce que mes mains saignent« . Pire : interdit de stades alors qu’il s’est reconverti au journalisme, il doit signer ses chroniques sportives sous pseudonyme. En 1975, le régime lui propose une réhabilitation… s’il signe une rétractation. Fier, il refuse. Ce n’est qu’en 1989, après la Révolution de Velours, qu’il retrouve son grade. Mais un vilain cancer ronge ses poumons. Le 22 novembre 2000, quand il s’éteint, des milliers de Tchèques ont défilé avec des baskets autour du cou. Un dernier hommage à l’homme qui courait contre les tyrans. Aujourd’hui, à Prague, une statue le montre grimacer dans l’effort.


Zátopek n’appartient à aucun régime politique. Il est notre frère dans la lutte.

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