Marathon de Beyrouth © Beirut Marathon

Le Marathon de Beyrouth, (bien) plus qu’une course

Marathon
28/02/2025 00:06

Le 4 mai prochain se tiendra bien le Marathon de Beyrouth, pour le plus grand bonheur des amoureux de course à pied au Liban, mais aussi pour celui de tout un peuple, pour qui cette course va au-delà du sport. Une vraie fondation pour la paix.


Début octobre 2024, la BMA (Beyrouth Marathon Association) doit annoncer l’annulation de son marathon annuel. En cause, la situation de guerre avec Israël, qui a envahi le sud du Liban fin septembre… Déjà en 2019, le Marathon de Beyrouth avait été annulé en raison des manifestations nationales contre le pouvoir en place. En 2020 à cause du covid… Pourtant, le Marathon de Beyrouth s’accroche et tient à son statut “label d’argent” dans le circuit international World Athletics Road Race Label Events. Francoise Nehme, directrice des opérations à la BMA, nous présente la réalité des chiffres de l’association : “en 2019, avant la révolution, 40 personnes travaillaient pour l’association, 5000 bénévoles pour la course et 50 000 participants… Nous avons dû malheureusement à l’époque annuler le marathon et l’organisation a perdu beaucoup de fonds. Nous avons relancé l’activité et nous sommes aujourd’hui 15 personnes dans le staff, 1700 bénévoles et nous attendons 20 000 coureurs pour l’édition 2025. À cause de la situation économique du pays, notamment celles des entreprises qui ne peuvent plus être partenaires, nous nous relevons petit à petit, tout en continuant à respecter nos engagements associatifs. Nous reversons 33% des recettes d’inscription. C’est notre manière de redonner à diverses communautés et causes”.

Car oui, le Marathon de Beyrouth lutte pour le sport et par le sport. Et pas question de renier ce principe malgré les difficultés économiques, notamment parce que les partenaires économiques se font rares. La fondatrice de la course, la très respectée May El-Khalil, a une histoire forte avec son pays et sa ville. Et elle croit dur comme fer dans la course à pied. “Pour elle, quand vous commencez à courir, vous devenez une personne pacifique, une meilleure personne, et ça se reflète sur la communauté, précise Francoise Nehme, elle croit dans ce message et le Marathon de Beyrouth s’inscrit dans cette vision. Notre communauté grandit, et ils sont surnommés “Peace runners”. Notre présidente n’a jamais abandonné et n’a jamais cessé de croire dans la mission du marathon. Elle veut faire grandir le message de la course, au Liban mais aussi en dehors du Liban”.


| Le sport plus fort que les divisions nationales

Une autre chose est marquante quand on évoque le Marathon de Beyrouth avec ses organisateurs ou les coureurs, c’est ce sentiment d’union nationale qu’amène la course. Nader Jaber (photo ci-dessous), multiple Champion du Liban sur 5 et 10 km et entre autres vainqueur du semi-marathon de Beyrouth en 2023, utilisera, sans concertation, les mêmes paroles que Francoise concernant la course : “le Marathon de Beyrouth transmet un message d’unité. C’est très rare pour notre pays divisé par tellement de choses. C’est une vraie célébration. Tout le monde est réuni et c’est très fort, ça dépasse la politique et la religion. Ce jour-là, on est tous les mêmes. Quelles que soient les origines, la culture d’origine, la couleur de peau… On est tous ensemble. C’est la joie ! L’association fait tellement de choses pour le pays, pour la communauté en général… Blind With Vision, programme d’entraînement créé par l’association pour entraîner les coureurs aveugles au marathon, est un superbe exemple des choses possibles quand on est tous ensemble”. La BMA organise en effet toute l’année des évènements à destination des coureurs, ouvrant la pratique à un maximum de personnes. C’est presque difficile de faire une liste exhaustive de toutes les actions solidaires organisées par l’association de May El-Khalil. Nader abonde en ce sens : “Penser à l’avenir et courir tous ensemble, c’est ça aussi le Marathon de Beyrouth. Désormais quand tu coures au marathon tu peux trouver de nombreux clubs présents pour l’évènement. Avant il n’y en avait pas. Le marathon a amené ça avec toutes ses actions culturelles pour promouvoir le running”.

Nader Jaber

Pour May El-Khalil, la course à pied est en effet un vecteur d’émancipation individuelle et de liberté. Francoise Nehme reprend la philosophie de sa présidente : “Quand vous commencez à courir, il n’y a que vous et la route. Vous pouvez courir autant que vous voulez et vous vous connecter de plus à plus à votre personne. Quand vous courez, vous devenez toujours plus conscient de vous-même. Quand on court on réfléchit à sa vie, on trouve des solutions, les inquiétudes s’envolent… C’est pourquoi notre association propose depuis 10 ans des programmes d’entraînement gratuits, pour introduire le sport dans la vie du plus grand nombre de personnes possibles”. La BMA organise chaque année un programme gratuit de 5 mois, appelé programme 542, qui touche… 1000 à 1500 personnes ! Et ici pas de demi-mesure dans la solidarité : “des coachs volontaires nous accompagnent dans cette mission, pour 3 entraînements semaine. A la fin du programme, ils peuvent courir le marathon, le semi ou le 10 km. C’est une initiative très populaire, unique au monde car nous ne faisons pas que proposer le programme, nous le portons. Nous leur proposons aussi du yoga, de la kinésithérapie, un préparateur mental… et bien sûr la communauté devient importante pour chacun d’entre eux. On a même eu des mariages ! C’est comme une seconde famille”.


| L’édition 2025 aura bien lieu

Grâce au travail de toute l’organisation, l’édition 2025 se tiendra bien, malgré un contexte toujours très tendu. Les organisateurs ne veulent pas perdre le bénéfice de tout le travail accompli, notamment pour se maintenir dans le cercle “silver” des IAAF Road Race Label Events, label aux critères très précis (diffusion TV, récompenses financières…). “Maintenir la sécurité des participants est notre principale préoccupation, continue Francoise Nehme, et malheureusement il n’est pas conseillé de voyager au Moyen-Orient. On a ainsi perdu beaucoup de coureurs, beaucoup d’ambassadeurs internationaux. Si vous voyagez vers le Liban, aucune assurance ne vous couvrira, nous sommes toujours en “zone rouge”. Les américains et les européens n’aiment pas prendre ce risque. C’est la première difficulté. La deuxième est la situation économique. Les entreprises locales ne peuvent plus nous soutenir en tant que sponsors. C’est difficile pour l’épreuve d’être bénéficiaire vu le coût d’organisation (500 000 euros environ). Mais nous avons la chance d’avoir une Présidente prête à couvrir les pertes financières avec ses fonds propres”. Nader, revenu vivre à Beyrouth après une enfance en Côte d’Ivoire, a les yeux qui s’illuminent quand il évoque la capitale libanaise, qui regroupe près de la moitié de la population du pays : “c’est une ville si particulière. Les habitants sont gentils, il y a une vraie joie de vivre malgré les difficultés que nous vivons. L’accueil à Beyrouth est incroyable.” 


| Deux mois de totale solidarité

En fin d’entretien, Francoise Nehme nous évoque les derniers mois de 2024. L’association du Marathon de Beyrouth est venue en aide à 450 réfugiés du Sud Liban, touchés par la guerre avec Israël. “Quand le conflit a éclaté, ils sont venus à Beyrouth. Une école a été ouverte pour les accueillir, nous raconte la responsable des opérations de l’association, nous avons organisé une levée de fonds pour eux via une course virtuelle, retapé l’école qui était en mauvais état et nous nous sommes ensuite occupés d’eux pendant 2 mois (repas, vêtements, chauffage, eau..). Et bien sûr nous en avons profité pour introduire le sport auprès des enfants. En décembre ils sont repartis dans le sud et nous avons fermé l’école. Nous sommes toujours en contact avec les familles et nous avons l’espoir, quand les choses iront mieux, d’organiser une course dans le sud Liban”. C’est ça l’esprit du Marathon de Beyrouth. Toujours regarder le futur et construire la paix à travers le sport. 

May El-Khalil a eu ses mots en 2013 : “la construction de la paix n’est pas un sprint, c’est un marathon”.


En aparté / Nader Jaber et la France 

Nader Jaber a un lien particulier avec la France. Joaillier et gemmologue depuis la fin de ses études de biologie et de chimie à l’Université Saint Joseph de Beyrouth, le coureur (son instagram) divise son temps aujourd’hui entre la capitale libanaise et Paris, où il vient s’entraîner le plus souvent possible. “Depuis que je travaille à mon compte, j’ai moins de temps. Le niveau en France est plus élevé qu’au Liban et j’ai trouvé ici un vrai cadre pour continuer à progresser. Depuis 2018 je suis licencié à l’AZUR Charenton. Emmanuelle Jaeger et Jean Jacques Minne m’ont accueilli et m’ont aidé à participer à de nombreuses compétitions. C’est devenu comme une famille. Dans quelques semaines je compte retourner en France (ndlr au moment de l’interview Nader était à Beyrouth) pour effectuer quelques courses. Et le 3 mai je serai au rendez-vous du semi-marathon de Beyrouth…”

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