Voir Venise… et courir
Quand on pense à Venise, on pense d’abord art et gondoles. Il y a quelques mois, cherchant une course qui correspondait à la venue de ma sportive de sœur en Italie, j’ai fouillé un peu sur le moteur de recherche finishers.com. Une course de nuit m’a rapidement fait de l’œil : Venice Night Trail. C’était le 5 avril dernier, et avec 5000 autres coureurs nous avons vécu un rêve éveillé…
✔Notre journaliste Charles-Emmanuel a participé au CMP Venice Night Trail et vous raconte le récit de sa course.
Venise. Comme des milliers de voyageurs avant moi je suis tombé amoureux de la ville dès ma première visite, en 2017. Pour moi Venise, c’était synonyme de Biennale d’art et de cafés en terrasse à regarder les bateaux circuler sur ces canaux éternels. Désormais, j’aurais aussi en tête d’autres images : des foulées plus ou moins rapides dans la nuit, des ruelles, des ponts, lampe frontale sur le front. Les derniers kilomètres en souffrance n’entacheront pas le souvenir de ce trail à Venise…
| Un coureur du dimanche
Si les centaines de bénévoles de la course sont réglés comme des horloges, ce n’est pas mon cas. Et pour cause, je suis un coureur du dimanche. Je cours pour le plaisir, de manière plus ou moins soutenue, depuis une petite dizaine d’années. Le footing a plusieurs fonctions pour moi : me décrocher de mon écran déjà, sur lequel je passe trop de temps entre mon travail et les loisirs, ressentir ce plaisir une fois lancé et profiter des quelques « inspirations » créatives que la course provoque chez moi. Entre autres. Je connais plus ou moins mon allure sur 10 kilomètres. Mais je n’ai pas participé à une course depuis un 10k à Laval il y a une petite dizaine d’année. Autant dire que j’avais oublié à quel point se retrouver sur une ligne de départ avec des milliers d’autres personnes peut provoquer des réactions. L’émulation se transforme chez moi en compétition. Coureur de 10 kilomètres en dilettante ou pas, je vise mon rythme d’entraînement sur ce parcours de 16 kilomètres. Sauf que.
| 5000 coureurs dans un goulot

Munis de notre lampe frontale, nous rejoignons la ligne de départ. Je porte mon maillot de l’AS Velasca, « club le plus artistique du monde ». Craignant le froid on est dans les derniers à rejoindre la troupe. Erreur. Les premiers kilomètres vont être extrêmement contraignants. Il n’y a que deux vagues de départ et la seconde est très dense. Il y a énormément de marcheurs également. Je fais l’erreur de ne pas accepter ce rythme qui n’en ai pas un. Je double, je freine, je bifurque, je relance, j’accélère, je passe dans l’herbe. La remontée du chrono est lancée. Le départ se fait dans une zone « large » de Venise, son port touristique, mais les deux kilomètres avant de pénétrer dans les petites ruelles de la ville n’ont pas suffi à donner de l’air au peloton. Nous sommes même bloqués pendant plusieurs minutes dans une rue précédant le plus fin pont de la ville. En effet, ce dernier ne permet le passage que… d’une personne à la fois ! Les secondes s’égrènent sans nous. Passé cette étape, les chevaux de galop sont lâchés ! Je pars comme un dératé. Mon téléphone-chrono m’indique un temps au kilomètre indigne et j’ai toujours mon temps d’1h30 en tête. Je prends énormément de plaisir à remonter le peloton, à zigzaguer dans les ruelles. Mais je vais trop vite. Je le sais. Je suis incorrigible.
| Flashs
Les ponts s’enchaînent : 51 exactement. C’est pour eux que la course est classée en trail urbain. Les organisateurs ont tracé un parcours tout autour de l’île de Venise. Le premier quartier exploré, Cannaregio, est splendide. Que c’est grisant d’aller à toute vitesse dans ce dédale de ruelles. Les touristes ne sont pas là, la belle du nord est à nous. Enfin pas tout à fait puisque le circuit n’est pas fermé. On doit faire attention aux piétons. Les bénévoles sont là pour fluidifier tout ça, nous aident à nous repérer. Ils nous indiquent régulièrement sur les étroits quais ces deux ou trois marches qui permettent de descendre dans les bateaux, recouvertes d’algues glissantes… Merci à eux ! Les kilomètres s’enchaînent. Je suis encore en forme, mais toujours en surrégime. Je prends un max d’air pour compenser mais mes jambes ne vont pas tenir. Les nombreuses relances dues aux ralentissements et les ponts sont en train gentiment de me « manger ». Je ne m’autorise pourtant pas à ralentir.
| Place San Marco

Une fois passé l’Arsenal, chantier naval historique de Venise bâti en 1100, la petite troupe continue vers les jardins de la Biennale. La moitié de la course est derrière nous. Déjà. Malgré la fatigue, on n’a pas envie que ça s’arrête. Peu après le huitième kilomètre, je respecte à peine le seul ravitaillement en eau de la course. J’avale la moitié du gobelet, me lançant l’autre moitié au visage. Pourtant je suis déshydraté. Je n’ai pas assez bu dans la journée, à peine un demi-litre… Les cafés ne remplacent pas l’eau. Encore une erreur que je vais payer cash! La Place Saint-Marc est un des plus beaux moments de la course. Habituellement pleine de touristes du monde entier, elle est vide. Monumentale d’élégance et de raffinement. Un grand moment. La suite est moins majestueuse.
| Trois kilomètres sur les rotules
La petite voix a toujours raison. Elle a bien tenté de me dire que j’allais trop vite pour maintenir ce rythme jusqu’au bout et finir en beauté. Que je ne courais jamais si longtemps. Alors que j’ai beaucoup doublé depuis le début de course, je vois désormais des coureurs me dépasser. Je les vois léger, je me sens si lourd désormais. Ma foulée s’affaisse. Mes genoux portent de plus en plus mon poids et je n’ai plus de ressource. J’oublie que j’ai glissé des raisins secs dans mes poches. Les ponts disposés sur les quais en face de l’île de la Giudecca sont plus durs à franchir et je sens bien que mes jambes ne sont pas à la hauteur du rythme que je continue pourtant à m’imposer. Vers le treizième kilomètre, l’addition arrive. Elle est salée. Gros coup de barre. On est sorti de la vieille ville et on remonte vers le port pour l’arrivée. Le bitume et les routes plus larges sont moins ressourçantes que les ruelles étroites, qui semblaient littéralement nous aspirer. Je subis. Alors que le dernier kilomètre se profile, je me fais dépasser par un énième collègue. Je me tourne vers lui et lui lâche un aveu : « je vois les étoiles« . Mes jambes sont en coton et je vois effectivement des tâches blanches dans mon champ de vision. Sympa, le coureur refuse de partir devant et m’attend. On rigole ensemble. Je reprends des forces. Amateur d’endurance et de vélo (je le découvrirai après la course), Roberto me rappelle que la tête envoie des signaux mais que le corps peut encore. « Alors je peux accélérer encore ? » lui demande-je en souriant et en repensant à cet article que j’ai rédigé il y a quelques mois sur la théorie du gouverneur central. On finit ensemble, souriants. C’est déjà fini. Il m’a fallu 1h41 pour parcourir les 16 kilomètres. Loin des 1h30 rêvés et des 1h25 fantasmés. Mais pas de déception évidemment, que du plaisir ! Je retrouve ma sœur sur la ligne d’arrivée. Elle est ravie de la course elle aussi. On partage. J’ai mal partout. On rigole. Les deux kilomètres pour revenir à pied à l’appartement nous paraissent interminables…
« Je suis un coureur du dimanche mais j’ai envie de revivre à nouveau ces sensations de course, surtout quand elles sont si particulières comme pour ce trail de nuit à Venise. »
Et la prochaine fois promis je ne pars pas trop vite. Ou pas.